Parce que je le vaux bien
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Taheyyâtt savourait ce repos entre des draps propres. Elle redoutait de remuer tant soit peu, ses côtes étaient très endolories et la "lançaient" à chaque inspiration, chaque expiration, elle avait du mal à s'habituer à ces douleurs respiratoires sans cesse renouvelées.
Elle bénissait le ciel de cette heureuse rencontre, ce géant au boubou phosphorescent qui avait surgi tout à coup sur son chemin et l'avait fait descendre de sa monture épuisée.
Il avait ordonné à deux de ses serviteurs de conduire Zeff dans son écurie et d'en prendre soin. Il avait porté lui même Taheyyâtt entre ses bras puissants pour la déposer dans sa case, il l'avait allongée sur un matelas de crin posé sur un lit de briques.
Il l'avait confiée à son épouse, c'est elle qui avait lavé chacune de ses plaies, bandé son torse, qui lui avait donné une tunique décente, lui avait peigné et tressé ses longs cheveux, qui l'avait réconfortée avec un breuvage légèrement alcoolisé, et restaurée avec des boulettes de poulet et de manioc.
Ensuite, elle l'avait faite lever tout doucement pour qu'elle puisse se rendre dans un local attenant. Là un meilleur lit l'attendait avec un épais futon de laine.
Le maître des lieux était alors revenu, et avait placé deux gardes devant la porte de sa chambre pour lui éviter tout danger ou attaque.
C'était incroyablement providentiel, inespéré! Que savait son hôte des brigands du désert? Avait-il compris à qui et à quoi elle avait échappé?
Pongwa ne ressemblait pas à un ange, mais il aurait bien pu l'être, un envoyé sur sa route pour la préserver de tout faux pas! Cheveux crépus, légèrement grisonnants, le verbe haut, le rire énorme et communicatif, il respirait la bonté et la simple joie d'exister.
Taheyyâtt aurait-elle le privilège de demeurer quelques temps chez cet homme de bien, pour reprendre force, courage? pour renouer avec sa boussole intérieure?
Elle revoyait Zuhri, elle ne l'avait aperçu qu'un laps de temps très court, avant de s'écraser sur sa poitrine et de sombrer dans un long étourdissement. Quel bel homme! Magnifique, qui avait amorti sa chute après l'avoir provoquée. Elle s'était abimée contre son coeur. Mais quelle humiliation lui avait-il fait vivre! Un bandit! elle se promettait de se méfier de tous les hommes. Et pourtant celui qui l'accueillait ici...
Y avait-il des personnes bonnes, désintéressées, prêtes à donner d'elles même pour effacer l'opprobre, pour relever les violentés?
Qui était le romantique vagabond après qui elle courrait depuis déjà plusieurs lunes?
Ressemblait-il à Zuhri ou plutôt à Pongwa, car en fait l'avait-elle aperçu autrement que nuitamment lorsqu'il passait sous sa fenêtre à Alep? ou de loin, de dos lorsqu'il se perdait dans les ruelles et qu'elle s'efforçait de garder le regard fixé sur lui jusqu'à ce qu'il disparaisse, happé par les souks.
Comment savait-elle que c'était un alchimiste? le lui aurait-il dit cette unique nuit où elle avait pu lui parler depuis le balcon avant que ses parents ne lui intiment l'ordre qui ne se discute pas, celui de fermer la croisée pour aller se coucher au plus vite! ou l'avait-elle deviné à un "je-ne-sais-quoi" de mystère et d'autorité qui émanait de son maintient et de sa démarche lorsqu'il parcourait sa rue?
C'est cette nuit même où elle avait décidé de suivre son destin d'errante, de quitter la maisonnée étouffante, de courir après son rêve où qu'il se trouve!
Tahheyyât 5 février 2010; 22:56
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