Recluse
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Pongwa avait fait comprendre à sa petite protégée qu'elle pourrait demeurer dans sa case le temps nécessaire à sa convalescence. Il ne lui avait rien demandé, ni son nom, ni ses origines, ni la raison pour laquelle elle se trouvait lancée au galop à l'orée du désert sur un cheval magnifique autant qu'épuisé, blessée, affamée, sanguinolente, dépenaillée. Il ne lui avait fait aucune remarque sur ses yeux myosotis, sur ses cheveux de braise, sur les tatouages en forme de fleur qui ornaient son poignet gauche.
De toutes manières, eut-elle compris? Bien qu'elle soit remarquablement douée pour les langues étrangères, tant vives que mortes, elle ne connaissait pas l'idiome particulier dans lequel Pongwa s'exprimait et conversait avec son épouse, ses serviteurs, ses enfants.
Cet ange blanc n'était que bienveillance et humeur joyeuse. Rien ne paraissait lui être ou faire obstacle.
Peut-être un notable ou un chef dans sa tribu. Il n'avait pas tout-à-fait l'âge d'être son père, mais qui sait? Les races différentes n'affichent pas les mêmes caractères physiques de maturité, de vieillesse. Son épouse avait des enfants, Taheyyâtt les entendait parler, chanter, crier, se disputer même, c'étaient leurs inflexions de voix qui lui donnaient ces indications, elle n'arrivait pas à en discerner le nombre exact, peut-être plus de filles que de garçons, des adolescents comme des bambins. Elle ne pouvait pas les apercevoir, elle n'avait pas la force de se lever pour déambuler dans la pièce. Est-ce que les gardes placés en faction devant sa porte l'auraient laissée faire?
C'était une autre façon d'être prisonnière, elle n'avait aucun doute à ce sujet.
Elle espérait que l'ange était bien de lumière et que sa bienveillance ne se tournerait pas en spéculations diverses lorsqu'elle aurait repris apparence humaine, force, appétit et sourire.
Elle n'avait nullement le choix, et il le savait.
Qu'était devenu Zeff?
Elle ne l'entendait pas hennir, où était-il remisé?
Pongwa l'aurait-il vendu un bon prix?
C'était un cheval comme on en voit peu, la complicité avec lui avait été immédiate, comme si Taheyyâtt eut été sa maîtresse davantage que Zuhri, étonnant, elle souriait intérieurement: je suis persuadée que son maître doit être inconsolable, et jaloux de l'autorité que j'ai pris sur sa monture!
Alors, elle sentait la crainte grandir en elle: il n'aura cesse que de le retrouver et de me faire payer cher!
Elle prenait conscience d'une réalité, en échappant à son kidnapeur sur son propre cheval, c'était elle qui devenait voleuse de bétail! Elle serait poursuivie, un châtiment terrible l'attendait si elle se faisait prendre! Dans ces contrées, on ne plaisantait pas avec les voleurs, et ce pur sang représentait certainement une somme considérable. Si la sagesse inspirait Pongwa, il était naturel qu'il ait pensé à le dissimuler à la première vue d'étrangers en passage dans ce village, afin qu'il n'attire ni convoitise, ni soupçons.
Taheyyâtt reposait donc pour plusieurs semaines dans la case de Pongwa, et même les enfants de celui-ci ne devaient rien savoir. Elle admirait la fidélité et l'immobilité des deux factionnaires devant sa case et le dévouement de Panya, qui plusieurs fois dans la journée refaisait patiemment et délicatement ses pansements, son bandage, lui apportait les collations et les repas, la faisait manger bouchée par bouchée, gardait le sourire.
La petite pièce où elle vivait faisait partie des communs, une ancienne resserre aménagée pour recevoir l'hôte de passage, le griot, le pélerin, l'ermite errant. Elle jouxtait la salle où l'on prend les repas, où l'on passe un temps à palabrer ou chanter.
Elle entendait les chants de la famille le soir, avant le coucher du soleil, ils s'assemblaient pour un rite qui lui paraissait familier, peut-être étaient-ils chrétiens, et chantaient-ils la gloire de Dieu avant de se séparer pour la nuit, les enfants dans la maison de l'épouse, avec les servantes, le maître des lieux dans son quartier, avec les serviteurs.
Avait-elle aperçu un crucifix au mur? elle ne se souvenait plus, il n'y en avait pas non plus dans cette chambrette.
Par contre, elle aurait pu affirmer que ces gens n'étaient pas musulmans, aucune prière islamique ne rythmait les jours, pas de muezzin dans ces lieux, pas de tapis de prière, les hommes ne portaient pas de coiffe, les femmes n'étaient pas voilées.
Taheyyâtt 6 février 2010; 17:15
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